C’est Pascal Riché dans le Bibliobs du 8 décembre dernier qui pose la question… J’ai reproduit son billet ici (je sais : cépabien). Il se passe que moi-même je produis beaucoup de choses expérimentales avec ChatGPT, mais je ne vais pas me faire ma pub ici sans cesse. Toutefois, sur ce sujet, j’ai programmé des « mini-ChatGPT » de Cioran, de René Char, et de Francis Ponge en les nourrissant de très nombreux écrits de ces auteurs (> un exemple avec le Cioran — il faut être abonné à ChatGPT+ pour y avoir accès). L’exemple de Pascal Riché, et la leçon qu’il en tire, sont excellents :
Vendredi 8 décembre 2023
Le robot ChatGPT va-t-il tuer la tradition des pastiches littéraires ? Entre 1908 et 1950 Paul Reboux a publié de délicieux « À la manière de… » (à quatre mains avec Charles Müller, avant la mort de ce dernier en 1914) : tous les grands noms de la littérature y sont passés, de Tolstoï à Boris Vian. Le romancier Jean-Louis Curtis a repris le flambeau dans plusieurs livres, comme « La France m’épuise ». Puis Patrick Rambaud et son cousin Michel-Antoine Burnier se sont lancés à l’assaut des tics de Beauvoir, Aragon, Malraux et bien d’autres monuments. Pour réaliser de bons pastiches, ces auteurs devaient lire ou relire l’œuvre complète des auteurs visés. Un méchant labeur pour une gentille potacherie.
Il se trouve que ChatGPT met un quart de seconde à lire une œuvre. Je me suis donc demandé s’il était capable de produire aussi instantanément des pastiches. La réponse est oui. Sa rapidité est confondante et le résultat est très impressionnant… pour une machine. En revanche, si ChatGPT sait à peu près attraper le style et les tics des auteurs, il est loin d’avoir l’humour et la poésie des Reboux, Müller, Curtis, Burnier et Rambaud et consorts. Là où ils sont, ceux-ci peuvent dormir en paix.
Je vous laisse juge. J’ai demandé à ChatGPT d’écrire un paragraphe, à la manière de Proust, Racine et Céline. Je lui avais imposé un thème unique : la maxime drolatique mais sage de Jean-Pierre Vernant : « On ne discute pas recettes de cuisine avec des anthropophages ».
1. Marcel Proust. « Il est tout à fait curieux de constater à quel point nos conversations peuvent, parfois, glisser dans les méandres les plus inattendus de la trivialité. On ne discute pas recettes de cuisine avec des anthropophages, me dis-je en sirotant mon thé à la menthe dans le salon feutré de la duchesse de Guermantes. Les propos futiles, lorsqu’ils sont prononcés dans un contexte inapproprié, révèlent l’absurdité de la condition humaine. Alors que les mondains s’évertuent à dissimuler leur fascination pour les délices culinaires exquis, ils sont, en réalité, tout comme ces anthropophages, en quête de sensations gustatives éblouissantes, se délectant secrètement des mets les plus exquis. L’art de la conversation, tout comme l’art de la cuisine, reste une danse délicate entre les apparences et les réalités, où chaque mot prononcé révèle la saveur cachée de l’âme humaine. »
2. Jean Racine. « Ô infortune, ô cruelle destinée,
Que l’homme en sa folie ignore si souvent,
Les recettes de cuisine, douce mélodie,
Ne se confient point aux anthropophages impudents.
Ces âmes perdues, consumées par la démence,
Ignobles démons qui s’abreuvent de chair,
Leur appétit funeste et leur sinistre danse,
Condamnent toute saveur à devenir amertume amère.
La cuisine, art divin, source de joie suprême,
Se dérobe aux pervers, aux cœurs impurs, infâmes,
Et les secrets des mets, fruits d’un noble effort,
Sont préservés des ignobles, gardiens du trépas.
Dans ce monde où l’amour cède à la cruauté,
Les recettes sont l’ultime refuge de l’humanité,
Là où l’âme se préserve, se réchauffe et s’élève,
En dépit des ténèbres qui menacent sans trêve. »
3. Louis-Ferdinand Céline. « Ah, bordel, faut-il vraiment que j’en vienne à me coltiner ces tarés d’anthropophages pour qu’on se pose des questions existentielles sur les recettes de cuisine ? Non, mais sérieux, tout fout l’camp dans ce monde de dingues. T’as beau essayer de papoter de tes petits plats, ces cannibales, eux, ils veulent te manger tout cru, te bouffer la cervelle, au sens propre comme au figuré. C’est ça, la putain d’humanité, hein ? On discute p’t’être du dernier mijoté de grand-mère, mais au fond, tout le monde est en train de se bouffer la gueule, à coups de haines, de jalousies et de cruautés. Les recettes, c’est comme des pansements sur une jambe de bois, ça cache la réalité, ça fait croire qu’on vit dans un monde civilisé. Mais faut pas se leurrer, les mecs, sous la croûte, c’est la jungle, et on est tous prêts à se bouffer les uns les autres. Voilà, c’est ça, la putain d’vérité. »
Après avoir écrit d’un trait ce dernier texte, ChatGPT, visiblement affolé par la crudité de la prose qu’il venait de produire, a affiché un message d’alerte en rouge : « This content may violate our content policy » (ce contenu peut enfreindre nos règles sur les contenus). Comme si le misanthrope de Meudon avait repris le pouvoir sur le robot-pasticheur décérébré.
Pascal Riché