Vers la fin de l’ouvrage de Charly Delwart « Databiographie » (Flammarion, 2019 [*], il est écrit « À la suite des attaques du 11 septembre 2001, James Mitchell et Bruce Jessen ont signé un contrat de 181 millions de dollars avec la CIA. Leurs techniques d’interrogatoire renforcées, pratiquées dans des prisons secrètes à travers le monde, ne donneront aucun renseignement valable. La CIA décidera pourtant de les appliquer à l’ensemble de leurs sites de détention, dont Guantánamo. Car Donald Rumsfeld l’a dit quelques mois après les attaques :
Il y a des connus connus ; des choses connues comme étant connues. Nous savons aussi qu’il y a des inconnus connus, c’est-à-dire qu’il y a des choses que nous savons que nous ne savons pas. Mais il y a aussi des inconnus inconnus, des choses que nous ne savons pas que nous ne savons pas. Et si on regarde l’histoire de notre pays et d’autres pays libres, c’est cette dernière catégorie qui se révèle être la plus difficile.
Donc tout ce qui peut permettre d’en savoir plus est à prendre en compte.
Mais, appliqué à soi, c’est quoi ces choses que nous ne savons pas que nous ne savons pas ? »
Quelques minutes à peine après avoir lu ces lignes de Charly Delwart, des amis, Anne et Patrick qui ont été invités à dîner passent la porte et Anne (future libraire et soutien de VIS COMICA de la première heure) m’offre un tout petit texte (50 pages) : « Incognita incognita, ou le plaisir de trouver ce qu’on ne cherchait pas » de Mark Forsyth (Éditions du Sonneur, 2019 [**]) ; texte qui chante de façon bien drôle les vertus, bienfaits et miracles dans la découverte de pépites au sein des « Bonnes Librairies » face à la bêtise obtuse de ce chercheur de Google. Incognita, incognita commence ainsi : « Je dois l’essentiel de ce que je pense des libraires à Donald Rumsfeld. (…) C’est son opinion sur la nécessité des librairies qui nous lie profondément.
« Il y a des choses que nous savons savoir. que nous ne savons pas. D’autres que nous savons ne pas savoir, C’est-à-dire que nous savons ne pas savoir pour le moment. Mais il y a aussi des choses que nous ne savons pas ne pas savoir. Des choses que nous ne savons pas que nous ne savons pas ».
Et ensuite de Forsyth d’enchaîner donc sur les vertus du hasard lorsqu’on fouine dans les « bonnes librairies », sur l’acte d’acheter un livre sur les promesses de sa couverture, sur le mérite de n’avoir pas lu Guerre et Paix, de boire du vin Dubonnet et des dizaines d’autres choses comme par exemple ce qu’il se serait passé si Roméo et Juliette avaient connu les algorithmes des sites de rencontre. C’est un ouvrage minuscule [***], mais délicieux et jubilatoire.
Or, avant de lire le Databiographie, avant que le hasard ne me fasse deux fois apparaître la même citation en quelques minutes, je travaillais sur un projet de travail autour de la notion de serendipité, que je vais soumettre à mes étudiants. Je me dis alors que ce sont trop de signes qui me sont d’un coup envoyés. Je vais donc continuer de lire Charly Delwart (il a bien dû écrire un ouvrage humoristique — il est belge c’est un indice) et enfin explorer un peu plus à l’occasion ici ce qu’à écrit ce diable de Mark Forsyth.
Mais lisez donc Incognita incognita, et offrez-le. Quant à Donald Rumsfeld, depuis il est mort. C’est quelque chose que peut-être vous ne saviez pas et qui est pourtant su.
[*] Ouvrage qu’on ne peut qualifier de franchement humoristique hormis l’idée générale qui le sous tend : mettre sa vie, le monde, l’univers et le reste en datavisualisations et en tirer des réflexions personnelles de l’auteur sur lui-même, son environnement, les petites et grandes choses de la vie, la mort… Avec malice. Une curiosité, un OVNI, plutôt attachant et fort recommandable.
> Sur Babelio.
[**] Voici un résumé d’Incognita incognita :
Les meilleures choses sont celles que vous n’auriez jamais su vouloir jusqu’à ce que vous les ayez. Internet prend vos désirs et vous les recrache, consommés. Vous lancez une recherche, vous entrez les mots que vous connaissez, les choses que vous avez déjà à l’esprit, et Internet vous crache un livre, une image ou une notice Wikipédia. Mais c’est tout. C’est ailleurs qu’il faut chercher ce qu’on ne sait pas ne pas savoir ».
Que se passerait-il si nous éliminions de notre vie toute irruption du hasard, de la chance et de l’inconnu ? Il y a fort à parier que nous sombrerions dans l’ennui le plus épais. Nous croyons maîtriser la réalité via internet, les librairies en ligne et les sites de rencontre – mais sans le hasard, la chance et l’inconnu, pas de Juliette pour Roméo, pas de livres bouleversants dont nous ignorions l’existence !
> Sur Babelio.
[***] … Et du coup un peu cher (5,50€), mais fi : ces petits livres de « sortie de caisse », sont faits pour être offerts aux amis, et ça n’a pas de prix. Merci Anne !